Nos chères têtes blondes et les écrans.

S’inquiéter du temps que les enfants, en particulier les plus jeunes, passent devant les écrans est en soi une très bonne idée, mais une récente analyse de l’étude de cohorte prospective ELFE (Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance) montre qu’en termes de développement cognitif, le temps d’écran n’est pas le seul paramètre qu’il convient de surveiller.

Pour rappel ELFE suit plus de 18.000 enfants nés en France métropolitaine en 2011 (environ 1 enfant sur 50 né en France au cours de cette année) afin de comprendre via des contacts réguliers avec les parents comment l’environnement, l’entourage familial et les conditions de vie influencent le développement, la santé et la socialisation des enfants.

Dans le cas particulier les investigateurs ont travaillé sur les données de près de 14.000 enfants âgés de 2 à 5 ans et demi afin de voir dans quelle mesure l’exposition précoce ou excessive aux écrans pouvait influencer leur développement cognitif. Une question à laquelle de nombreux travaux ont déjà été consacrés, mais qui continue de faire débat.


Comme d’autres avant lui, ce travail montre l’existence d’une relation négative entre le temps d’exposition aux écrans (smartphones, tablettes, ordinateurs, télévision, consoles de jeux) et le développement cognitif.

Cependant l’intérêt majeur de ce travail est d’apporter dans le champ de réflexion des éléments nouveaux dont l’importance est loin d’être anecdotique.

De fait, ce travail indique d’une part que cette relation négative relativement modeste n’est pas retrouvée pour tous les domaines de la cognition et d’autre part que lorsqu’elle existe, elle est beaucoup plus faible lorsque des éléments du cadre de vie familial et les activités quotidiennes des enfants sont correctement pris en compte.

En d’autres termes,  le temps d’exposition aux écrans est incontestablement un élément important de la relation, mais il n’est pas le seul  Le contexte dans lequel cette exposition a lieu compte également.

Les investigateurs ont travaillé à partir des données concernant :

  • le temps d’écran quotidien des enfants évalué à 3 périodes différentes (2, 3,5 et 5,5 ans),
  • l’exposition ou non à la télévision lors des repas au cours de la deuxième année de vie,
  • les habitudes de vie familiale et les activités quotidiennes des enfants,
  • le niveau de développement du langage à 2 ans, du raisonnement non verbal à 3,5 ans et de la cognition globale à 3,5 et 5,5 ans.

Ils ont ainsi observé que le temps d’exposition aux écrans était associé à de moins bons scores de développement cognitif global aux âges de 3,5 et 5,5 ans (écart de 2 points de quotient intellectuel pour un temps quotidien moyen de 4 h), et que cela concernait en particulier les domaines de la motricité fine, du langage et de l’autonomie. Ils indiquent toutefois que lorsque les facteurs relatifs au mode de vie et susceptibles d’influencer le développement cognitif étaient pris en compte dans les modèles statistiques, la relation négative se réduisait et devenait de faible magnitude.

Les résultats confirment aussi le rôle délétère de la télévision allumée pendant les repas familiaux sur le développement du langage à 2 ans et indiquent en plus que cela est indépendant du temps d’exposition et s’assortit d’un moins bon développement cognitif global à 3 ans et demi.

“Cela pourrait s’expliquer par le fait que la télévision, en captant l’attention des membres de la famille, interfère avec la qualité et la quantité des interactions entre les parents et l’enfant. Or, celle-ci est cruciale à cet âge pour l’acquisition du langage”, explique Shuai Yang, doctorant et premier auteur de l’étude qui ajoute: “De plus, la télévision ajoute un fond sonore qui, lorsqu’il se superpose aux discussions familiales, va rendre difficile le déchiffrage des sons pour l’enfant et limiter la compréhension et l’expression verbales”.

Il y a sans doute de multiples leçons à tirer de ces résultats, mais la mise en garde de Jonathan Bernard auteur senior de l’article publié dans The Journal of Child Psychology and Psychiatry est certainement à garder en mémoire.
Si nos résultats suggèrent que les effets délétères de l’utilisation des écrans dans la petite enfance présentent un faible impact sur le développement cognitif au niveau individuel, ils justifient cependant de rester vigilants à l’échelle de la population. En santé publique, les petits ruisseaux font les grandes rivières.” et d’ajouter: “Les premières années de vie sont décisives pour le développement cognitif, mais aussi dans la mise en place des habitudes de vie. Lorsqu’un enfant utilise un écran excessivement, il le fait au détriment d’autres activités ou interactions sociales essentielles pour son développement“.

Jean-Claude Lemaire

Jean-Claude Lemaire

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